« Les amis de Patrick Kermann ont voulu lui faire signe, cet été, à la Chartreuse, pendant le festival. Ils ont “ installé ”, comme ils disent, un texte de lui, très court, qu’il avait appelé A. Une suite de quarante phrases brèves, dix ou quinze mots, que Patrick Kermann imagine prononcées par des nazis, après les camps. Par exemple une voix d’homme nous dit qu’avant la guerre il arrachait des dents, et qu’aujourd’hui, de nouveau, il soigne des dents. Mengele, Goering, Eichmann, Hitler, leurs congénères, défilent ainsi, froids, calmes.
Dans la buanderie de la Chartreuse est placée, à un mètre de hauteur, une sorte de couronne de fer barbelés, d’une dizaine de mètres de circonférence. En apparence, le fer barbelé, qui entourait les camps : en fait, un enchevêtrement de fils électriques et de petites cupules métalliques qui évoquent des écouteurs, ou simplement des oreilles. Mais le barbelé saute aux yeux. De ces oreilles grises, cassées, sourdes, jaillit un tohu-bohu de voix, propos convenus, triviaux même : inconscience et égoïsme expriment leurs petits malheurs. Le concept muet de l’oubli des camps. Ce tintouin s’éloigne, s’efface. Apparaît un homme en noir, un acteur, c’est Sacha Saille, qui se penche sous le treillis d’oreilles sourdes, et se redresse. Tournant sur lui-même, lentement, il va prononcer, comme s’il s’adressait personnellement à chaque témoin, les phrases qu’avait écrites Patrick Kermann. C’est tout. C’est décent. C’est fraternel. C’est bien. »
Michel COURNOT
Le Monde, 20 juillet 2000