Le Groupe Merci s’est engagé dans un théâtre qui traque la possibilité de parler politique ; Désobéissance (2008), Génie du proxénétisme (2010), À notre chère disparue, la Démocratie (2011).
Nous menons une quête de formes encore capables de poser les pieds dans le pré carré de nos « harmonisateurs politiques ». Car nous constatons que nos instances démocratiques se contentent « d’accompagner les consensus », tandis qu’une déréalisation du monde est à l’œuvre.
Il reste donc au théâtre à s’engager et à faire le constat de cette « catastrophe immanente au système » selon l’expression du dramaturge Falk Richter.
C'est donc avec Falk Richter qui écrit pour des “Woyzeck” contemporains, vivant sous nos yeux dans un monde exsangue en décompensation perpétuelle, que nous allons exhiber de nouvelles figures contemporaines, dans leurs perditions, leurs effondrements intérieurs.
Exhiber leurs implosions mentales.
Joël FESEL
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La pièce de Falk Richter radiographie les psychismes d’aujourd’hui, que l’on contemple à la loupe.
On y voit des identités fragmentées et de pauvres tentatives de rapprocher fébrilement les morceaux épars (tant le risque de dépersonnalisation est grand) ;
On y voit la perte de confiance ;
On y voit la peur de l’avenir (puisque tout est insécurisant, comme la valeur de l’argent qui s’effondre) ;
On y voit la peur de n’avoir plus de valeur justement (puisque tout se mesure aujourd’hui à l’aune du marché) ;
On y voit la peur de n’être rien (pressés par la double injonction du « sois toi-même, réalise-toi, trouve ta voie », celle de « il faut gagner ta vie », et la difficulté de vivre une vie vouée à l’efficacité) ;
On y voit la peur de ne pas être à la hauteur (la barre est si haute) ;
On y voit la peur de la liberté : tout semble possible donc le choix est impossible (d’autant que la guerre économique se durcit) ;
On y voit l’angoisse paradoxale sans doute d’être sans Dieu, sans maître, sans tiers (l’autorité, où est-elle ?) ;
On y voit la panne du désir (on rêve tant d’absolu) ;
On y voit leurs rêves de pacotille (devenir une icône, une star, une image) pour être de ceux qui réussissent éclairés par la gloire ;
On y voit une solitude à pleurer ;
On y voit leur narcissisme régressif qui les entraîne à remonter le temps jusqu'avant la naissance au risque de disparaître ;
On y voit une solitude à pleurer...
Solange OSWALD
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Extrait
JE SUIS COMME L’ARGENT
« JE N’AI PAS DE POINT DE REPÈRE je n’en ai tout simplement pas JE SUIS COMME L’ARGENT putain je suis comme l’argent je suis tout et partout et personne ne peut apprécier ma valeur et tous les jours il faut vérifier que je vaux encore quelque chose, ça change en fait tous les jours, ma valeur, mes relations avec les autres, et je cours perpétuellement le danger de perdre ma valeur pendant la nuit, je cours perpétuellement le danger que mon cours s’effondre complètement, JE SUIS COMME L’ARGENT, tous veulent m’avoir et beaucoup, mais je n’arrive tout simplement pas à rendre quelqu’un heureux, même s’ils y croient toujours, et je peux aller partout, mais je ne peux tout simplement plus mesurer ma valeur, parce qu’il n’y a plus de lignes directrices, elles sont toutes en train de se dissoudre, JE SUIS COMME L’ARGENT »
Falk RICHTER
Trust,
traduit de l’allemand par Anne Monfort,
L’Arche Éditeur, coll. scène ouverte, 2010