Les tristes champs d’asphodèles

Les tristes champs d’asphodèles

de Patrick KERMANN

Objet nocturne numéro 

2
création 1997

Notes & textes 

Un voyage vers « les champs d’asphodèles* »

« Un voyage dans la “deadzone
pour éviter le naufrage spirituel !
Un voyage au pays de ceux qui ont subi
un “ état de choc ” et qui,
comme Lady Macbeth dans son cauchemar égaré,
revoient les images et ressassent les mots
qui les ont plongés dans l’effroi.
Il y a de l’étonnement, de la cruauté,
de l’humour...
Ça sent la détresse, mais aussi le désir urgent
de s’en sortir,
de retrouver l’intégralité, de se métamorphoser... »

Solange OSWALD

* asphodèles : petites fleurs qui poussent sur les tombes.

_

L’homme tiendrait-il debout par la seule vertu de ce qu’il raconte ?

« Dans la pièce de Patrick Kermann, « Les tristes champs d’asphodèles », toutes les figures sont déclinées, où se dit la difficulté, malgré l’urgence, de se tenir debout et de raconter.

Ombres déchues, figures d’un monde que la catastrophe a figé, stupéfié, lambeaux d’une langue que la catastrophe a disloquée, déchiquetée, dans un temps sans épiphanie, à moins que cette épiphanie-là date simplement le début d’un carnaval où, lorsque les vivants semblent n’être plus que des spectres, les morts reviennent, plein de vie. Mais aussi bien héros mélancoliques d’aujourd’hui, figures réifiées de notre monde, fragments déchirés de notre langue, clowns fantomatiques d’une époque malade.

Comment tenir sans mot dire ? Comment se tenir debout dans une langue devenue étrangère ? Quelle histoire nous raconter dans une langue qui nous laisse choir ? À quoi, à qui tenir ? Et quoi dire ? Le dire du quoi comme jeu pour tenir. Ou bien alors. Quelle langue inventer pour raconter et tenir debout ? Peut-être faut-il n’avoir été personne nulle part pour se relever, assurer la relève. « Lautre », l’autre homme. Parce que le crépuscule où sont déclinées les figures emblématiques de ce monde mélancolique mais déjà conjugué au futur antérieur, c’est aussi la lumière à nouveau possible, l’aube d’un nouveau possible. Un chant, peut-être, ça tient. »

 Marie-Laure HÉE

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Extraits

1. Première tentative du dire du quoi
____

Sont deux là. Deux pour le moment, à jouer ce mauvais rêve dans ce qui serait la ville du crépuscule. Et Lun parle. Lautre non : il ne se tait pas, Lautre, voudrait dire, et apparemment peut pas. Mais toujours fait comme Lun dit de faire.

LUN. – quoi
dis quoi
tu dis dis pas quand ou où
mais quoi dis quoi
juste quoi veux
veux ça juste
d’ta langue d’ta bouche
va
dis
’spire profond
’spire fort
et dis dis dis quoi
là là
’spire ’core
fort
gonfle
gonfle poumons
’core ’core
à fond gonfle
rentre ventre

et dis dis dis dis

Lautre aura tout bien fait, mais sans résultat aucun.

sors pas
sors pas non
hé non
peux ’core
peux sûr
’core
’spire ’core

et joues gonfle joues

bouge p’us
p’us
ouvre bouche
creuse ventre
tout doux
ouvre va
ouvre

voilà
à trois sors tout à trois
’spire fort dehors
et tout sort ’lors
du fond
à trois
tout dis
pas quand
quoi juste quoi
’tion prêt
et un
et deux
et et et
trois
va va allez va
et dis dis dis dis dis dis dis dis

()

Patrick KERMANN
Les tristes champs d’asphodèles,
Ed. Espace 34

Générique 

Texte :
Patrick KERMANN
Les tristes champs d’asphodèles,
Ed. Espace 34, 1999.

Distribution (1997) :
Installation plastique et sonore : Joël FESEL
Mise en scène : Solange OSWALD
Collaborateur artistique : Guy MARTINEZ
Assistantes : Marie LAMACHÈRE, Jude ANDERSON
Dramaturgie : Marie-Laure HÉE
Lumière, régie : Stéphane MALAFRONTE, Guillaume BACHELLIER, Igor VERMEIL
Costumes, accessoires : Virginie BAES, Mina TANIÈRE
Musiciens : Bruno BAUDRY, Joan Melchior CLARETT
Cinéaste : Boris CLARETT

Avec :
Philippe BÉRANGER,
Georges CAMPAGNAC,
Philippe CARBONNEAUX,
Agnès CHAPELLIER,
Olivier CHOMBARD,
Sébastien LANGE,
Kaf MALÈRE,
Françoise OSTERMANN,
Noël O’SULLIVAN,
Mélodie PAREAU,
Daniel R.,
Sacha SAILLE,
Juliette STEINER,
Jean-Noël ZENHLÉ,
et le chien JACK.

Production :
Groupe Merci
Théâtre de la Digue

Soutien :
Aide à la formation du Ministère de la Culture
Aide à la création du Conseil régional Midi-Pyrénées.

Création en décembre 1997 au Pavillon Mazar à Toulouse

Parfums de presse 

« Le spectateur est convié à un étrange voyage ponctué de rencontres inquiétantes et décalées. Il y est question d’une parole de père, d’un personnage paumé qui écrase les pieds d’une dame à l’arrêt d’un bus, d’un autre qui refuse de tenir debout. Un étranger y est mis à mort. On assiste à une revue bizarre où un meneur/maquereau se réjouit d’histoires castratrices évoquées par la voix innocente d’une ingénue en tenue légère… Les scènes tragi-comiques sont introduites par une espèce de clochard céleste et philosophe. (…) Le langage se déstructure. Les mots sont comptés, nous est-il précisé, parcimonieusement. Les personnages buchent dessus, les répètent dans des formules incantatoires vides. Le sens est ailleurs, dans les interstices, les silences. La présence de ces corps nus ou enserrés d’habits étriqués qui titubent et se cherchent, nomme la difficulté d’être au monde, d’y nouer des relations sociales et amoureuses. Le pessimisme du propos est transcendé par la poétique de l’univers mis en place et par l’humour omniprésent, noir, grinçant, à fleur de peau. Une authentique réussite. »

C. B.
Flash, décembre 1997