Un voyage vers « les champs d’asphodèles* »
« Un voyage dans la “deadzone”
pour éviter le naufrage spirituel !
Un voyage au pays de ceux qui ont subi
un “ état de choc ” et qui,
comme Lady Macbeth dans son cauchemar égaré,
revoient les images et ressassent les mots
qui les ont plongés dans l’effroi.
Il y a de l’étonnement, de la cruauté,
de l’humour...
Ça sent la détresse, mais aussi le désir urgent
de s’en sortir,
de retrouver l’intégralité, de se métamorphoser... »
Solange OSWALD
* asphodèles : petites fleurs qui poussent sur les tombes.
_
L’homme tiendrait-il debout par la seule vertu de ce qu’il raconte ?
« Dans la pièce de Patrick Kermann, « Les tristes champs d’asphodèles », toutes les figures sont déclinées, où se dit la difficulté, malgré l’urgence, de se tenir debout et de raconter.
Ombres déchues, figures d’un monde que la catastrophe a figé, stupéfié, lambeaux d’une langue que la catastrophe a disloquée, déchiquetée, dans un temps sans épiphanie, à moins que cette épiphanie-là date simplement le début d’un carnaval où, lorsque les vivants semblent n’être plus que des spectres, les morts reviennent, plein de vie. Mais aussi bien héros mélancoliques d’aujourd’hui, figures réifiées de notre monde, fragments déchirés de notre langue, clowns fantomatiques d’une époque malade.
Comment tenir sans mot dire ? Comment se tenir debout dans une langue devenue étrangère ? Quelle histoire nous raconter dans une langue qui nous laisse choir ? À quoi, à qui tenir ? Et quoi dire ? Le dire du quoi comme jeu pour tenir. Ou bien alors. Quelle langue inventer pour raconter et tenir debout ? Peut-être faut-il n’avoir été personne nulle part pour se relever, assurer la relève. « Lautre », l’autre homme. Parce que le crépuscule où sont déclinées les figures emblématiques de ce monde mélancolique mais déjà conjugué au futur antérieur, c’est aussi la lumière à nouveau possible, l’aube d’un nouveau possible. Un chant, peut-être, ça tient. »
Marie-Laure HÉE
_
Extraits
1. Première tentative du dire du quoi
____
Sont deux là. Deux pour le moment, à jouer ce mauvais rêve dans ce qui serait la ville du crépuscule. Et Lun parle. Lautre non : il ne se tait pas, Lautre, voudrait dire, et apparemment peut pas. Mais toujours fait comme Lun dit de faire.
LUN. – quoi
dis quoi
tu dis dis pas quand ou où
mais quoi dis quoi
juste quoi veux
veux ça juste
d’ta langue d’ta bouche
va
dis
’spire profond
’spire fort
et dis dis dis quoi
là là
’spire ’core
fort
gonfle
gonfle poumons
’core ’core
à fond gonfle
rentre ventre
là
et dis dis dis dis
Lautre aura tout bien fait, mais sans résultat aucun.
sors pas
sors pas non
hé non
peux ’core
peux sûr
’core
’spire ’core
là
et joues gonfle joues
là
bouge p’us
p’us
ouvre bouche
creuse ventre
tout doux
ouvre va
ouvre
là
voilà
à trois sors tout à trois
’spire fort dehors
et tout sort ’lors
du fond
à trois
tout dis
pas quand
quoi juste quoi
’tion prêt
et un
et deux
et et et
trois
va va allez va
et dis dis dis dis dis dis dis dis
(…)
Patrick KERMANN
Les tristes champs d’asphodèles,
Ed. Espace 34