La Mastication des Morts

La Mastication des Morts

de Patrick KERMANN

Objet nocturne numéro 

5
1h20
création 1999

Notes & textes 

Imaginons que nous soyons convoqués à entendre ce qui ne peut s’entendre

On nous entraîne vers un lieu bien choisi, il fait déjà nuit…
Dans ce lieu a surgi un étrange campement que nous traversons avec la fraîcheur d’un promeneur surpris.

Imaginons que, là, des paroles dérobées au silence se mettent à vivre, un chœur de voix, le résidu sonore de deux cents vies, sur un siècle d’existence. Comme un paquet de voix en compression.

Le lieu, par sa sérénité, se prête au recueillement… Les morts prennent la parole.
Ils mastiquent, ressassent. La catastrophe ne les a donc pas guéris de la vie ! Les morts nous retiennent donc captifs, ceux-là qui ne savent faire le deuil du monde.

Solange OSWALD
metteur en scène

Qu’est-ce qu’on sera venu voir ?

Un mort en face ? C’est pas sûr. Encore moins la mort en face. Ou alors cette part de mort qu’on porte en soi quand on n’est plus très sûr d’être vraiment vivant. Quand ça patine, ça déraille, ça se bloque à l’intérieur, parce qu’il n’y a plus d’extérieur.

C’est ça. La part de mort. Le ressassement, l’obsession, l’encombrement à l’intérieur. On appellerait ça « être en deuil du monde ». Être en deuil de l’horizon de présence permis par le monde. Ça doit être ça, quelque chose comme ça, être mort, avoir perdu le monde, le ciel et la terre, l’espace, le temps, c’est-à-dire la droite et la gauche, le haut et le bas, l’avant, l’après, l’avenir et le passé, l’ici et l’ailleurs, le maintenant et le plus tard, et puis les autres aussi. Bref, tout ce qui fait monde.

Peut-être, on sera venu voir ça. Ce que ça fait que d’être mort, d’avoir perdu ce qui fait monde.
Et c’est peut-être pour ça qu’on aura eu froid, des frissons, etc. Parce qu’on aurait eu honte. Honte d’être vu, d’être regardé, d’être reconnu par les morts du cimetière de la Mastication.

Marie-Laure HÉE
dramaturge

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Extraits

«Je ne suis pas morte, je repose, nuance…»
Sophie LARGUIT 1936-1989  

«On a beau dire on s’y fait pas, on s’y fait pas !»
Jean-Marie BOUTARD 1867-1923

«Pas d’anges, pas de harpes, pas de vertes prairies fleuries, c’est des craques que racontait le curé, que des craques.»
Amandine DELPUT 1856-1919

«Alors là ça m’a fait un choc j’y croyais pas mais pas du tout pas du tout j’y croyais alors quand je suis morte ça m’a fait un choc terrible.»
Ernestine RONQUET née ROUART 1880-1931

Patrick KERMANN
La Mastication des morts, oratorio in progress

Générique 

Texte :
Patrick KERMANN
La Mastication des morts, oratorio in progress
publié aux Éditions Lansman, Carnières / Morlanwelz, 1999.

Une création du Groupe Merci
Objet nocturne nº 5

Conception et mise en scène : Solange OSWALD & Joël FESEL
Collaboration artistique : Jude ANDERSON
Dramaturgie : Marie-Laure HÉE
Costumes : Julien RABBE, Sophie LAFONT
Régie générale : Silvio MARTINI
Régie : Cinthia COROT

Avec (été 2022) :
Catherine BEILIN
Jean-François BOURINET
Georges CAMPAGNAC
Frédéric CUIF
Marie-Céline DAUBAGNA
Anaïs DURIN
Pierre-Jean ETIENNE
Gaetano GIUNTA
Étienne GREBOT
Dominique HABOUZIT
Ghislaine MAUCORPS
Karine MONNEAU
Marc RAVAYROL
Sacha SAILLE
Tanguy TRILLET

Et les masticateurs associés

Production à la création :
Groupe Merci,
Centre national des Écritures du Spectacle de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon,
Théâtre de la Digue (Toulouse).

Avec l’aide :
du Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées

Soutiens :
DRAC Midi-Pyrénées,
Conseil régional Midi-Pyrénées,
Conseil général de la Haute-Garonne,
Ville de Toulouse,
SACD
ADAMI.

Reprise en mai 2012 à Toulouse dans le cadre de la « Fête des Morts, un paysage du Groupe Merci »

Coproduction :
Groupe Merci / Pronomade(s) en Haute-Garonne, Centre national des arts de la rue
Les Treize Arches, Scène conventionnée de Brive.

Soutiens :
Ville de Toulouse
Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse.

Création initiale le 10 juillet 1999
au grand cloître du Centre national des Écritures du Spectacle à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, Festival officiel d’Avignon.

Parfums de presse 

Les morts ont la parole

« C’est la nuit. Le petit cimetière de Moret-sur-Raguse, semblable à n’importe quel petit cimetière de province, s’est endormi. Tout autour, le mur de pierre se dresse comme une sentinelle bienveillante. La grille de fer est fermée à clé. Non, rien ne devrait plus troubler le repos des morts. Une voix pourtant, une voix de femme se détache dans l’obscurité. Elle dit, cette voie douce et navrée : “ Alors là, ça m’a fait un choc ! ” Comme si le signal était donné, d’autres voix montent. La rumeur enfle. Les dents claquent. Les rires fusent. Les soupirs et les regrets pleurent. Il faut l’admettre.

Les morts du petit cimetière de Moret-sur-Raguse se sont réveillés. Delput Gisèle épouse Triboulet, Grangeon Marie épouse Delput, Lespinasse Samuel, auteur dramatique, Triboulet Henry, facteur…

Tous se bousculent aux portes de la parole.

Les langues bruissent et mastiquent. C’est toute une république de l’invisible qui s’est mise en mouvement, sans gloire ni protocole. Les suicidés, les assassinés, les accidentés, les meurtriers, les poilus de 14-18, les riches, les pauvres, les hommes et femmes, jeunes et vieux. La plupart chassés de l’histoire des humains par la petite porte.

Quelques-uns seulement par la grande. Écrit par Patrick Kermann, mis en espace par le Groupe Merci, La Mastication des morts est moins un spectacle qu’un rituel. Moins une injonction contemporaine qu’un chemin de liberté suggéré à nous autres, les vivants. Tant il est juste qu’il nous faut aussi consoler nos morts. »

Daniel CONROD
Télérama, novembre 2000