Imaginons que nous soyons convoqués à entendre ce qui ne peut s’entendre
On nous entraîne vers un lieu bien choisi, il fait déjà nuit…
Dans ce lieu a surgi un étrange campement que nous traversons avec la fraîcheur d’un promeneur surpris.
Imaginons que, là, des paroles dérobées au silence se mettent à vivre, un chœur de voix, le résidu sonore de deux cents vies, sur un siècle d’existence. Comme un paquet de voix en compression.
Le lieu, par sa sérénité, se prête au recueillement… Les morts prennent la parole.
Ils mastiquent, ressassent. La catastrophe ne les a donc pas guéris de la vie ! Les morts nous retiennent donc captifs, ceux-là qui ne savent faire le deuil du monde.
Solange OSWALD
metteur en scène
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Qu’est-ce qu’on sera venu voir ?
Un mort en face ? C’est pas sûr. Encore moins la mort en face. Ou alors cette part de mort qu’on porte en soi quand on n’est plus très sûr d’être vraiment vivant. Quand ça patine, ça déraille, ça se bloque à l’intérieur, parce qu’il n’y a plus d’extérieur.
C’est ça. La part de mort. Le ressassement, l’obsession, l’encombrement à l’intérieur. On appellerait ça « être en deuil du monde ». Être en deuil de l’horizon de présence permis par le monde. Ça doit être ça, quelque chose comme ça, être mort, avoir perdu le monde, le ciel et la terre, l’espace, le temps, c’est-à-dire la droite et la gauche, le haut et le bas, l’avant, l’après, l’avenir et le passé, l’ici et l’ailleurs, le maintenant et le plus tard, et puis les autres aussi. Bref, tout ce qui fait monde.
Peut-être, on sera venu voir ça. Ce que ça fait que d’être mort, d’avoir perdu ce qui fait monde.
Et c’est peut-être pour ça qu’on aura eu froid, des frissons, etc. Parce qu’on aurait eu honte. Honte d’être vu, d’être regardé, d’être reconnu par les morts du cimetière de la Mastication.
Marie-Laure HÉE
dramaturge
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Extraits
«Je ne suis pas morte, je repose, nuance…»
Sophie LARGUIT 1936-1989
«On a beau dire on s’y fait pas, on s’y fait pas !»
Jean-Marie BOUTARD 1867-1923
«Pas d’anges, pas de harpes, pas de vertes prairies fleuries, c’est des craques que racontait le curé, que des craques.»
Amandine DELPUT 1856-1919
«Alors là ça m’a fait un choc j’y croyais pas mais pas du tout pas du tout j’y croyais alors quand je suis morte ça m’a fait un choc terrible.»
Ernestine RONQUET née ROUART 1880-1931
Patrick KERMANN
La Mastication des morts, oratorio in progress